Du 15 décembre 2018 au 18 février 2019
dites-leur que j’étais amateur de haïkus et rien de plus
pause à la prière psalmodiée du saint homme : il se mouche bruyamment dans ses doigts
à seulement entrevoir les framboises le saint homme rompt son jeûne
jusqu’à l’aube lampe allumée furie d’écriture
bosquet de glycines le bleu des montagnes pâlit
nuit d’été baignés de lune les arbres
compagnon familier mon bol ébréché sous mes lèvres
adoucie par l’âge l’arête du banc ne me blesse plus
l’esprit en paix la maison vide l’hiver peut venir
vieille carpe bouche bée elle boit le ciel
ballotant au vent un carrousel de bambous tinte de ses propres dévotions
taciturnes songeant l’un à l’autre le feu et moi
pluie de printemps sur la clairière oublié de tous ravi le rocher danse
vagabonde sur la pierre petite mouche insouciante éclair vert d’un lézard
blanc somnambule un héron arpentant la brume
couché dans la menthe l’odeur de la menthe et rien qu’elle !
averse d’été bouche ouverte poisson-chat gobant les gouttes
mon ombre encore sur terre moi au pays des ombres
poussière légère poussière celle que l’on aima
fientes de moineaux sur la statue immuable le sourire du dieu
éruption de fleurs nuit plus lourde touffeur de l’été
haïku impossible : hors de portée des mots la beauté de cette nuit
hutte d’herbe au bord du torrent ouverte au vent
la pensée de l’horizon déplace la montagne
une année se termine une année débute d’autrefois l’odeur me revient
plus de mère pour se plaindre ravalant sa peine il cherche son mouchoir
le souvenir ce soir approchant il s’échappe s’éloignant il envahit
au matin sur la table mille haïkus venus d’on ne sait où
éveil brutal rêve d’avoir dormi
l’herbe jaillit du sol on ne sait plus rien des morts
buvant dans ma coupe éméchée la lune toute ronde
la bourrasque emporte mon ombre avec les feuilles mortes
nonnes en procession ? corneilles arpentant un sillon ?
visage rieur et luisant dans ses fumées le vendeur de brochettes
cueillant un grand oeillet le sentiment d’un sacrilège
onde sur l’eau forme ou reflet d’une ombre ?
il sait tout du temps le galet
agenouillé rinçant le linge ah ! l’odeur de l’eau
ronde de nuit d’un mulot ses empreintes sur mon poème
errant sans attaches pas un jour que je n’écrive
noueuse et si vieille la glycine brume de soie mauve
la pluie fait la lessive du vagabond
filigrane précieux les rides de ma mère
Nouvel An un dieu distrait mise une année de plus
dans l’eau du ruisseau soudain une présence
nuit d’exaltation mille haïkus chuchotés par la lune
parmi les crevettes vieux crabe bercé par les vagues
vieille mare grenouille saute bruit de l’eau
jour d’oisiveté seules chantent les cigales
dans ma robe de chambre la chaleur du bon vieux temps
dilapidées par poignées les feuilles d’or de l’automne
Nouvel An plus de regrets ne fut-ce qu’une fois
nuit d’été au loin très loin des chiens dialoguent
herbes sèches automne proche blancheur des vagues
poisson frais pêché flaques sur le quai rires doux des écailleuses
de l’inquestionnable monde eh quoi ? attendrais-tu quelque réponse ?
une pierre dressée que la mousse tapisse eh ! point d’autre Bouddha ici
soleil boudeur cigales muettes
choses qui passent vite très pâle clarté des étoiles sur les bœufs du pré
seul à occuper le fragile esquif de mon existence
silhouette sautillante là-bas passant le pont
Ni trop près Ni trop loin Prudence d’un matou borgne
paisible la lune n’ayant à ce monde aucun compte à rendre
mâchonner une herbe mâchonner un haïku être de ce monde
monde immense viens habiter mon petit poème !
à la pensée de la mer mon cœur bleuit
C’est reparti ! 66 haïkus 66 jours .
dernier haïku puis rendre l’encre à la nuit
au milieu du néant joie du vivant au milieu du vivant joie du néant nous
nuit d’été par millions les étoiles
nuit d’été une seule grande étoile
dans la rosée menant joyeux tapage il boit et tangue l’escargot du matin
infinie longueur d’un jour éphémère
à l’ombre de l’enfer il vaque paisible le monde sans histoires
il appartient à l’eau mon visage dans l’eau
sandales vagabondes nul besoin de se soucier du chemin
En moi un dieu prisonnier de mon rêve
Parmi les herbes hautes glissement furtif d’une existence pressée
A contempler les fleurs le printemps s’assoupit
Aimé ou pas qu’importe il chante le coucou
Pluie noyant tout immensité d’un moment sans importance
Avec le linge séché rentrer l’odeur des fleurs
Est-il écrit le grand haïku de l’autre monde ?
Notre journée touche à sa fin on ne sait lui dire adieu
Parlant riant buvant et dans l’air doux suivant des yeux la lune
Ce monde qui n’est plus ne fut-il que pour moi ?
Insondable pluie d’automne bol de thé fumant la journée se passe à songer
Nuit d’été les grands parents soupirent en souriant
Calme profonde nuit un monde à peine esquissé
Ce que nous voyons nous regarde
Si j’étais un poisson la lune de l’étang je la goberais
Odeur du vent chaud jubilation d’être
Brusque souvenir de mon père mort pour toujours ?
Eclatant de rire parmi les éclaboussures mon enfant
Accueillant un rêve sans but ni hâte le dormeur
Chuintement de la bouilloire dehors neige à gros flocons
Sur la table d’hôte au milieu du bruit j’écris
Nuit noire plus de questions qu’il n’en faut
Don du ciel la couleur de l’air ce matin
Seul à occuper le fragile esquif de mon existence
Puis au matin soixante années quelque gorgées rapides
L’éclair puis le tonnerre puis encore moi
Dans son sommeil le bossu se redresse
De son vieux petit garçon il entend encore le rire dans son sommeil
L’encre suit les mouvements de la plume lesmots lui sont inconnus
Ebloui passant les flots de ce monde
Ivre ruisselant d’étoiles bondissant sa vie
Poissons rouges aux yeux ronds l’enfant ébahi près du bocal
Crissement d’un pas sur le seuil mulots effarés
Je marche je peins des bambous j’écris des haïkus
De ce monde d’apparences la jouissance d’un bref instant
Errant de l’un à l’autre comme il est calme l’appel de la mendiante
Galet ricochant sur l’eau au museau des carpes
Cessant tout mouvement il me regarde le papillon
Eh monde ! songé pour moi ? pour moi seul ?
Soir d’un jour doré sourire durable contre le temps
Qu’elle est profonde la solitude de cet instant même
L’enfant porte un sourire blanc sa mère gît dans son souvenir
Neige à l’infini une corneille picore
Nuit obscure aube radieuse offerte à tous
Juste avant de se séparer hâtive caresse d’un vieux à sa vieille
Chacun un cadeau à la main la neige en flocons carillonne
Enterrant ma mère je me souviens d’une jeune femme belle entre toutes
Secret de l’immortalité de ma mémoire tout s’efface
Noir sur noir discourant un arbre mort et sa corneille
solitude tintement d’on ne sait où puis encore solitude
Poupée à la fleur rouge devant sa porte loucherie des passants
Une main agitée dans l’eau claire ah ! le printemps !
Sinon le vent personne ne m’accompagne
Entre éclair et tonnerre visage entraperçu d’un homme
Elle joue avec son reflet la carpe printemps
Première barbe de mon fils orgueil ? mélancolie ?
Pour qui pour qui donc ce déploiement cet espace ce temps ?
Le chat se lève, s’étire et se recouche quoi ? rien dehors la neige
Ma soupe que tu as bue j’étais dedans !
Cheminant créant de son regard le monde
Sa sébile elle-même considère le mendiant d’un air découragé
Vieille théière ébréchée noircie par la fumée elle chante encore
Entre éclair et tonnerre l’éblouissant visage du présent
Du thé qui fume à ma portée chance que je sois né !
de ce monde d’apparences la jouissance d’un bref instant
à cet instant précis rien d’autre que la nuit le vent et moi
mon vieux bol entier sa beauté ! brisé sa beauté !
ce vieux corbeau moqueur le même chaque hiver ?
de son rêve le dormeur éveille le monde
nuit noire tout ce que je possède tient dans mes yeux ouverts
venant d’ici allant là bas passant près de nous
la bouilloire de fer sur le coin du fourneau qu’elle est vieille !
visage de mon père mort sourire patient dans l’au-delà
par un trou dans le toit le ciel entier en moi
exubérance des fleurs sans but ce soir
boueux et limpide le ciel de février
ce qui m’appartint qu’il est difficile de le rendre au néant
c’est nous ces ombres nonchalantes rien que nous
d’ailleurs à ailleurs ici rien que nous
la corneille brise d’un cri la blancheur de la neige
kakis sur les branches lampions coiffés de neige
sous la caresse de ma main la joue de mon fils s’arrondit
poussière au creux de ma main humains que je ne connaîtrai pas
comme si rien n’avait été un sourire retournant à la poussière
froidure les mots gèlent dans le pinceau
nuit du nouvel an parmi les mondes possibles ce monde
penchée vers moi elle me respire la fleur
avalant le monde l’oiseau le laisse intact
Dehors cris des oies plumes de l’édredon soudain frémissantes
A partir du 15 février 2017