Une introduction aux haïkus
Une introduction au haïku
Étymologiquement, le haïku, c’est le « poème libre » ou « de ton libre ».Il semble qu’il soit l’héritier littéraire autant des peintres de la nature Sung (et de la peinture à l’encre sumi e en général), que de la calligraphie (shô), si proche de cette peinture, ou du taoïsme pour ce qui concerne son versant religieux. Cette forme poétique apparaît vers le début du XIe siècle, prend son essor au XVIe, connaît son sommet aux XVIIe et XVIIIe. Aujourd’hui, au Japon, la tradition demeure vivace. Des millions de Japonais, de toutes classes, le pratiquent.
Les principes de composition du haïku
Trois lignes de cinq, sept et cinq syllabes, soit dix-sept syllabes constituent originellement ce tercet. Les poètes de haïku utilisent fréquemment des chevilles exclamatives (kireji), soit pour respecter cette norme et assurer le nombre de pieds correct, soit pour assurer une intention lyrique plus appuyée, soit, enfin et surtout, pour créer au centre ou à la fin du poème une tension rythmique, une rupture ou un rebondissement. Dans la tradition classique, chaque haïku doit se rattacher à l’une des cinq saisons de l’année, la cinquième étant constituée par le Nouvel An. Une allusion exprimée par le kigo, mot-saison, se doit d’installer centralement ce que Roland Barthes nomme la tonique du haïku. Sinon, le haïku perd son statut et devient moki.
Mais des accommodements sont rapidement pris d’avec cette métrique. Très vite le rythme varie, prend des formes irrégulières, s’émancipe de bien des contraintes académiques.
Cela dit, pourvu que l’ensemble dégage l’esprit haïku, les plus grands classiques eux-mêmes se délient de ces règles.
Les différentes formes de haïku
À en croire Allan W. Watt, le haïku peut se rapporter à chacun des quatre états fondamentaux du furyu, état d’esprit zen de perception du temps vécu. C’est la disposition d’esprit wu–shih, « rien de spécial », qui semble alors régner : importance du regard particulier, de sa bienveillante disponibilité à l’égard du monde.
- La forme sabi: ambiance de solitude, de quiétude et de paix ; plénitude et détachement ; installation dans la durée. Pour Suzuki, c’est « l’esprit de solitude éternelle ». Les choses vont de leur propre cours. Le poète n’est au mieux qu’un greffier fugitif.
- La forme wabi: ambiance de pure image, d’immédiateté, d’instantanéité, d’où émergence d’une extrême naturalité, de satiété. C’est l’aspect le plus lapidaire, le plus humble et rustique du haïku.
- La forme aware: d’une tristesse et d’une nostalgie plus intense. Peut-être le moment où le temps bascule dans le temps, où l’on interroge la vanité des choses. Il me semble que c’est celle des expressions dans laquelle l’homme laisse le plus apparaître ses émotions, où, quoique discrètement, s’exerce une certaine véhémence sentimentale.
- La forme yugen: plus proche de la vision mystique ou spirituelle, celle d’un indicible, d’un mystère, d’un inconnu. Une question portée vers le dehors de ce monde. Mais également, le mode le plus esthétisant.
- On pourrait y rajouter la forme privilégiant l’ambiance de joie, d’allégresse, de bonheur rayonnant. Forme jubilatoire, donc dégradée, puisque le sage se tient à l’écart de tout excès.
- Et encore cette rare forme d’ironie douce, de dérision, plus réflexive, plus « psychologisante » :
Concluons en assurant cependant que le haïku ne saurait être enclos par une quelconque contrainte et qu’il « se dérobe à toute classification ».
Au-delà
Pouvoir de résonance … Saisie de l’instant …Rien d’explicite … Dire sans désigner … Hôte de passage … Faculté de saisissement … Goût du concis … Équivoque … Transmigration … Purs fragments … Petit satori de langage… Poussière d’événements … Métaphysique sans sujet et sans dieu … Aventures infimes … Exemption du sens … (Seghers, Barthes, Etiemble, Munier, Bonnefoy, Suzuki, Watts, …) : que d’expressions pour tenter de se saisir de l’expérience du monde dans ce qu’elle possède de plus immédiat, de plus brut !
Le haïku n’explique rien, ne démontre rien, ne recherche pas le joli. Il s’attache à l’expression fugace que la brièveté même de la forme contraint à l’économie. C’est l’instant dont il tente de s’emparer, le temps qu’il veut prendre au piège, contraindre à l’immobilité. C’est le mouvement qu’il veut figer dans sa légèreté, son unicité. C’est l’espace auquel il s’efforce de retirer toute orientation. « Un monde auquel l’homme appartient, mais qu’il ne domine pas. » (Allan Watts)
Si la beauté se constitue d’une stupéfaction, d’une courte sidération, c’est cette émotion qui naît alors : une essence qu’aucune explication ne saurait réduire ; qui naîtrait d’une vision oblique ; l’ordinaire ouvrant au merveilleux, le relatif à l’absolu, le profane au sacré.
La métaphore est inépuisable : deux pôles séparés par le vide, un très bref instant, se rejoignent en un éclair de lumière incandescente. Dont il ne restera rien. Une réalité constamment calcinée, plus que des cendres. L’émotion d’un satori, illumination née d’un court passage par et dans le vide, éveil brutal qui transporte au-delà, ravissement.
Méditer, c’est s’ouvrir à la vérité sans l’ouvrir en paroles ; l’espace du haïku remplit précisément la toute-puissance mystique de la sensation.